Cycle de Séminaires 2023 : Ressources

Séminaire n°3. Le 11 Octobre 2023 en collaboration avec INTERPSY et ORION

Psychosomatique

Jean-Benjamin Stora, Les relations entre le corps et l’esprit dans les maladies somatiques

Laurent Chiche, La théorie du Soi étendu mise à l’épreuve de l’énigme psychosomatique


La notion des périodes sensibles du développement

Second Webinaire 10 mai 2023

Jessica Tran Thé, Le rôle des périodes critiques dans la schizophrénie.

Les périodes critiques de la plasticité cérébrale : un enjeu pour le dialogue entre psychanalyse et neurosciences autour de la psychopathologie de la schizophrénie 

Abstract : 

A travers les recherches sur les mécanismes moléculaires et cellulaires des périodes critiques, les données récentes de la neurobiologie ont mis en évidence de façon expérimentale l’importance de notre histoire infantile et des stimulations précoces en lien avec l’environnement dans notre construction non seulement subjective mais cérébrale, confirmant l’intuition freudienne d’un rôle électif de l’enfance et des premières expériences précoces avec l’environnement dans notre développement psychique et notre devenir subjectif. Les « périodes critiques » du développement cérébral constituent des fenêtres temporelles qui marquent un moment propice, mais aussi une limite, de la plasticité cérébrale développementale, et varient en fonction des différentes aires du cortex. Il existe ainsi des périodes temporelles strictement délimitées pour l’apprentissage du langage, de la musique, etc, après lesquelles ces apprentissages deviennent plus difficiles voire impossibles. Or, les recherches sur les périodes critiques peuvent apparaître comme un enjeu majeur dans le dialogue interdisciplinaire entre psychanalyse et neuroscience en ce qui concerne le rôle des expériences précoces dans l’étiologie de certaines affections psychopathologiques. Les recherches sur les mécanismes cellulaires et moléculaires à l’origine de l’ouverture et de la fermeture de ces périodes, commandés notamment par la maturation des neurones en panier exprimant la parvalbumine, ont mis en évidence l’existence d’anomalies la maturation de ces neurones chez les patients schizophrènes. Nous proposons, à partir de ces travaux, de relire les théories psychanalytiques sur l’étiologie de la psychose, dans une perspective interdisciplinaire, à travers la perspective d’une rencontre entre psychanalyse et neurosciences autour du constat commun que l’expérience s’inscrit et laisse une trace, qu’il s’agisse d’une trace « psychique » ou d’une trace « synaptique ». Nous développerons ainsi, dans cette perspective interdisciplinaire, l’hypothèse d’une « absence de trace » dans la psychose, reconsidérée au prisme de la notion biologique de périodes critiques de la plasticité.  

Joëlle Rochette-Guglielmi, Des rites aux neurosciences : comprendre la période du post-partum immédiat et ses désordres.

Des rites aux neurosciences : comprendre la période du post-partum immédiat et ses désordres– Joëlle Rochette-Guglielmi,Docteur en Psychologie et Psychopathologie Clinique, Chercheure Associée CRPPC UE 653 Université Lyon 2, Psychanalyste membre de la SPP

Abstract : L’enjeu fondamental de la transmission, celui du « donner la vie, mettre au monde, naître », fait du cycle du péri-partum un rendez-vous d’exception et un déménagement écologique sans précédent[1]. La spécificité de cette phase critique est sans doute qu’elle ne concerne – à la faveur d’une porosité inédite entre individus – pas seulement le nouveau-né, mais bien le système biopsychique complexe que constitue par cercle concentrique la dyade, la triade parents bébé, la parentèle et le socius. Malgré la rationalisation de la maternité – issue d’un double mouvement de médicalisation et de psychologisation autour de la parturience [2], sa désirabilité sociale, nous soutenons que la teneur de cette « fenêtre sensible intersubjective » éphémère et chrono-dépendante n’est pas suffisamment prise en compte. J’ai souligné dans mes premiers travaux[3] le rôle de marqueurs sociétaux des rites coutumiers (Van Gennep) qui donnent forme et contenance au travail biopsychique individuel et groupal de cette période dites « des relevailles », tant pour la mère que pour le nouveau-né, avec l’hypothèse que nos dispositifs soignants sont des analogons et des héritiers de ces formes coutumières. En effet, les rituels abondent dans ces organisations communautaires et ceci de façon transculturelle, venant fournir une préforme collective – une chambre froide pour les fantasmes – et une scansion temporelle à cette adaptation psycho-physiologique « à marche forcée ». Les changements d’état sans équivalent dans le développement humain viennent bousculer l’homéostasie de la mère, du bébé et celle du socius : accouchement, naissance et changement de biotope, allaitement, rythme nycthéméral perturbé, suites de couche, sevrage.

Fait intéressant, cette dynamique subtile, alchimie de la rencontre, était jadis orchestrée par les rituels de naissance, comme celui des 40 jours. Ils marquaient la sortie d’une période liminaire qui trouve validation dans les ajustements tâtonnants du post-partum immédiat – lus trop hâtivement, à tort, comme une dysthymie.

Alors que nous sommes en plein déclin de ces offres rituelles, une apparente contradiction montre que parallèlement, à l’injonction croissante d’un individualisme « post moderne », l’intérêt pour une approche scientifique « interpersonnelle » s’affirme nettement. Les auteurs œuvrent depuis une dizaine d’années pour une sortie du « monadisme scientifique » et pour des modèles de l’humain « énactifs » prenant en compte les systèmes complexes et interdépendants. Plusieurs champs d’expertise présentent des données nouvelles propres à dialoguer avec les concepts de la métapsychologie psychanalytique des liens et du bébé. Je cite ici quelques-unes de ces occurrences.

  • La neuro-imagerie dite à deux personnes (Montague, 2012) montre la centralité et la précocité d’une cognition sociale et réinterroge la question du sens de soi et de l’individuation (Jaegher, 2016)
  • La neurobiologie interpersonnelle valide une neuro-plasticité accrue, des modifications endocriniennes en post-partum chez la mère et le père, donnant un substratum physiologique au travail psychique de l’enfantement, de la préoccupation maternelle primaire et de ses aléas pulsionnels.[4]
  • La transmission (inconsciente) et la nature des objets transmis sont revisités par l’épigénétique. Elle pointe dans hic et hunc du postpartum la fenêtre précoce spécifique de régulation où la qualité des soins parentaux modifie par méthylation l’expression du génome du bébé.[5] Elle souligne comment l’adversité précoce dans l’histoire des parents (et celle oubliée des ancêtres) viennent impacter le sujet naissant.

Nous présenterons la valeur heuristique de telles recherches « translationnelles » à la pointe. Encore peu relayées auprès des cliniciens, elles n’hésitent pourtant pas à mettre en exergue la complexité réglée sur la conjoncture mouvante et « chrono-dépendante » de ce moment. Les propositions de prévention et de soins, basées sur l’observation de la santé mentale périnatale, pourraient pourtant s’y adosser !

Dans ce séminaire nous nous intéressons à une méthodologie transversale commune aux grandes transitions pour tendre à redéfinir une nosographie en santé mentale.  Quels seraient les concepts clefs pour modéliser le post-partum immédiat ? Cette phase est – elle exemplaire d’un déterminisme non linéaire, plurifactoriel, pour une part d’expression « génomique », pour une autre d’expression inconsciente et fantasmatique, comme nous continuons à le défendre ? De quelles « nouveautés » disposons-nous pour composer l’accueil sociétal de la dyade / triade parents nourrisson, pour documenter une sémiologie spécifiquement « dyadique » et des réponses thérapeutiques circonstanciées ?

Bibliographie proposée:

Atzil, S., Touroutoglou, A., Rudy, T., Salcedo, S., Feldman, R., Hooker, J. M., … & Barrett, L. F. (2017). Dopamine in the medial amygdala network mediates human bonding. Proceedings of the National Academy of Sciences114(9), 2361-2366.

Krol, K. M., Moulder, R. G., Lillard, T. S., Grossmann, T., & Connelly, J. J. (2019). Epigenetic dynamics in infancy and the impact of maternal engagement. Science Advances5(10), eaay0680.

Lester, B. M., Conradt, E., LaGasse, L. L., Tronick, E. Z., Padbury, J. F., & Marsit, C. (2018). Epigenetic programming by maternal behavior in the human infant. Pediatrics142(4).

Rochette-Guglielmi J. (2022). Incertitudes et crises épistémiques en périnatalité́ : Bébé́ Sapiens ou Bébé́ Demens ? In Analysis, revue transdisciplinaire de psychanalyse et sciences, 6(1) p 1-33

Rochette-Guglielmi, J. (2022). Des cinquante glorieuses du bébé aux 1 000 jours : petit plaidoyer pour la complexité.  Chronodépendance et déficit intersubjectif dans le post-partum immédiat. Dans : Michel Dugnat éd., Temps et rythmes en périnatalité (pp. 205-237). Toulouse : Érès.

Safi-Stibler, s., & Gabory, a. (2020). Epigenetics and the Developmental Origins of Health and Disease: Parental environment signalling to the epigenome, critical time windows and sculpting the adult phenotype. Seminars in Cell & Developmental Biology, 97, 172-18.


 

[2] Bien souligné dans ses enjeux contrôlant de « gouvernementalité » (Bourdieu, 2000) par une certaine sociologie et histoire de la naissance (Vorazi, 2018 ; Arena, 2020).

[3] Rochette J. (2003), Le rituel, la mère et le bébé́, un dispositif de soin en périnatalité́ : les groupes de présentation de bébés. Revue de Psychothérapie Psychanalytique de Groupe ; 40, 93-12.

Rochette, J. (2009), « précarité et périnatalité précoce : quarante jours pour transformer le désordre aléatoire en « chaos organisé » », in j. Furtos (dir), clinique de la précarité, Genève, Elsevier-Masson

[4] Sobral, M., Pacheco, F., Perry, B., Antunes, J., Martins, S., Guiomar, R., … & Ganho-Ávila, A. (2022). Neurobiological correlates of fatherhood during the postpartum period: A scoping review. Frontiers in Psychology, 84.

[5] Pour des axes aussi déterminants que celui pourvoyeur de la résistance au stress (cortisol) ou encore des protéines qui codent pour le transport de l’ocytocine (Krol et all, 2019) modifications qui seront transmises à la descendance.


Premier Séminaire RFPN 2023, ressources

Lapsus Freudiens dans le laboratoire : pourquoi la langue fourche ?
Lola Thieffry

Dans son ouvrage Psychopathologie de la vie quotidienne, Freud (1901) souligne les logiques défensives à l’œuvre dans les lapsus, qu’il considère donc comme des retours du refoulé. Freud s’est également attaché à décrire ce qui rend possible la production du lapsus, à ce propos il souligne que : « … le facteur positif, favorisant le lapsus, c’est-à-dire le libre déroulement des associations, et le facteur négatif, c’est-à-dire le relâchement de l’action inhibitrice de l’attention, agissent toujours simultanément, de sorte que ces deux facteurs représentent deux conditions également indispensables, d’un seul et même processus ». (Freud, 1901. Ces deux facteurs, le ‘libre déroulement des associations’ et ‘l’action inhibitrice de l’attention’ font respectivement référence aux processus primaires et secondaires.

Dans les années 70, des linguistes américains ont créé la technique SLIP (Spoonerisms of Laboratory Induced Predisposition; e.g., Motley & Baars, 1976), un protocole qui permet d’induire des lapsus expérimentalement. Brièvement, ce protocole se présente comme une tâche de lecture qui contient des paires de mots susceptibles de provoquer des lapsus neutres (e.g., barn door -> darn bore) et tabous (e.g., tool kits -> cool tits). Nous avons reproduit la technique SLIP avec des matériaux en français et avons inclus des mesures de processus primaires et secondaires en tant que mesures de défensivité. En effet, en accord avec Freud (1895), nous proposons que ces processus (i.e. les processus primaires et secondaires) soient défensifs en essence. Nous avons considéré deux types de défense : les défenses ‘élaboratives’ ou de processus primaire et les défenses ‘inhibitrices’ ou de processus secondaires (Erdelyi, 2006), que nous avons opérationnalisées respectivement avec le nombre de choix ‘attributionnels’ dans le Geometrical Categorization Task (GeoCat) et avec le nombre de choix ‘neutres’ dans la liste de mots ‘Phonologique-Neutre’ (PN). Le GeoCat (ex. Bazan & Brakel, 2023) est une mesure validée des processus primaires et la liste de mots PN apparait comme une mesure de la fuite de l’ambiguïté phonologique (Bazan et al., 2019).

Notre traduction a mené 55 participants à produire 37 lapsus, dont 21 lapsus tabous (e.g., mite bol –> bite molle) et 16 lapsus neutres (e.g., mauve phare –> fauve mare). En catégorisant les participants selon leur score au Marlowe-Crowne Social Desirability Scale (Marlowe & Crowne, 1964), nous avons montré que les participants fort défensifs produisent significativement plus de lapsus que les participants peu défensifs, qu’ils soient neutres ou tabous (Thieffry et al., sous presse). Les mesures de défensivité (GeoCat et la liste PN) expliquent 1/3 de la variance associée à la production de ces lapsus ; ceci confirme donc les logiques défensives à l’œuvre dans la production de lapsus. Par ailleurs, nos résultats ont indiqué que le processus primaire apparait comme une défense de base, présente tant chez les participants peu et fort défensifs, mais que seulement les participant fort défensifs mobilisent une défense inhibitrice (i.e. processus secondaire). Plus largement, nos résultats montrent que les phénomènes psychodynamiques (freudiens) se prêtent à l’étude expérimentale et falsifiable.